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6 Oubliées, ce n’est pas assez dire ; elles sont plutôt ignorées les pages auxquelles nous donnons ce litre et dont le Bullelin de l'Académie commence aujourd'hui la publication. Quand nous aurons dit qu’elles sont l’œuvre du P. Callet, l’auteur si estimé, du Tantara ny Andriana, nous pensons qu'on nous saura gré de ne les avoir pas gardées dans nos cartons et d’en avoir fait part à nos lecteurs. Le Tantara ny Andriana est connu : c’est le roi incontesté des livres malgaches, le témoin le mieux renseigné et le plus consulté, des traditions du pays. Ce qu’on sait moins peut-être, c'est son histoire même, au prix de quels labeurs et de quelles recherches il a été composé, et on aimera sans doute à l’apprendre. Aussi bien, puisque l’Académie vient d’émettre le vœu que le nom du P. Callet soit donné à une des rues de Tananarive, il ne sera pas hors de propos de consacrer ici quelques lignes à la mémoire de ce grand travailleur. Nous les devons à l'obligeance d’un de nos confrères, le P. Bregère, qui a bien voulu, sur notre demande, recueillir ses souvenirs et nous fournir les renseignements qui vont suivre. « Ce n’est pas chose si aisée, nous écrit-il, que de vous dire comment le P. Callet s’y est pris pour nous doter des précieux volumes intitulés Tantara ny Andriana. Timide à l’excès et d’une extrême modestie, le Père ne parlait jamais de ses travaux. Ce que j’en sais, je n’ai pu le saisir que dans les courts rapprochements que nous permettait notre vie commune de missionnaire dans les campagnes. « Voici donc ce que j’en sais : Après avoir passé une douzaine d’années au collège Sainte-Marie de la Réunion et quelques mois à Tamatave, le P. Callet monta à Tananarive en 1864 avec le P. Roblet. Ambohipo, Imerimandroso, Ambobijanahary, Imerinafovoana, Ambohimanga et Alasora furent successivement les théâtres de son zèle apostolique. Il apprit le malgache à l’aide des seuls éléments que nous eûmes assez longtemps à notre usage : la Petite Grammaire du P. Webber et la conversation avec les indigènes. Quand je vins à mon tour, en 1870, le P. Callet était regardé comme un de ceux qui connaissaient le mieux la langue; mais, par un phénomène que je ne m’explique pas, sa prononciation fut toujours défectueuse. « Le P. Callet aimait à visiter ses paroissiens, les vieillards surtout, pour lesquels il avait un faible. Une bonne prise de tabac amorçait la conversation. Avide de connaître les traditions du pays, il les harcelait de questions à ce sujet. La conversation durait longtemps. Enfin, une dernière prise d’adieu et de reconnaissance, et il partait rédiger cette conversation dans le silence de sa solitude. Il butinait pour lui seul, ne songeant à rien moins qu'à faire un livre. Il butina si bien cependant et avec tant de suite et de persévérance qu'il se trouva bientôt possesseur de véritables richesses. Enfin, sur les instances de ses supérieurs, il se décida à les produire au grand jour. Un tout petit volume, à peu près introuvable aujourd’hui, parut d'abord. Ce n’était qu'un essai, mais il fll plaisir. Enhardi par ce premier succès, le Père s'y mit tout de bon et lout entier. Il se fit nne collection de vieillards parmi les plus âgés et les plus intelligents et les consulta sans trêve. Parfois, souvent même, il écrivait sous leur dictée; souvent aussi, il rédigeait lui-même et coordonnait avec la patience d'un bénédictin ce qu’iravait entendu de différents interlocuteurs. Il s’était si bien approprié ce style si savoureux des anciens Malgaches que sa rédaction et ta leur se confondent et semblent n’en faire qu’une, ce qui constitue un des charmes de ses ouvrages. Ce qui étonne, c'est qu’il ait pu se procurer tant de détails sur les usages, les mœurs, et surtout les innombrables superstitions des Malgaches. Il est vrai qu'alors et dans les derniers temps ce n'était plus la petite prise de tabac qui servait d’amorce à ces confidences si difficiles à obtenir des intéressés, mais une bonne petite piastre discrètement glissée dans la main, et qui signifiait moins merci qu'au revoir. « De là sont sortis successivement, tirés pour nous à quarante exemplaires seulement, les trois précieux volumes du Tantara ny Andriana du P. Callet. Il va sans dire que ce recueil des traditions malgaches fut grandement apprécié de tous ceux qui en prirent connaissance, surtout des Malgaches eux-mêmes, qui nous l'auraient payé fort cher. Ne pouvant nous l'arracher à aucun prix, ils ne se sont pas fait scrupule de nous le prendre pendant la première guerre franco-hova de 1883-1885, et c'est chez eux surtout qu'on pourrait trouver aujourd’hui ces volumes qui ne leur étaient pas destines. Les réimprimer serait faire œuvre utile. « Un quatrième volume était en préparation, quand la guerre éclata. Dans la débâcle du départ, le P. Callet put sauver son manuscrit, et, une fois à la Réunion, il reprit son travail avec une ardeur et un acharnement qui ne connaissaient ni distraction ni repos. Il devait mourir à la peine. Un accès pernicieux l’emporta subitement le 7 avril 1885 ; il était Agé de 63 ans. » Les matérieux laissés par le P. Callet ont été précieusement recueillis, et tous les malgachisants apprendront avec plaisir la très prochaine apparition à l'imprimerie de la Mission catholique du 4e volume du Tantara ny Andriana. Il est enfin un autre ouvrage, que la guerre d'abord, puis la mort, n’ont pas permis à cet infatigable travailleur de mener à terme : c'est celui-là même que nous annoncions en commençant et dont nous donnons au Bulletin les premières pages. Il suffira de les parcourir pour se convaincre de la grandeur de l’entreprise : c'était moins un dictionnaire qu'une véritable encyclopédie de la langue malgache. Dès avant 1883, l'auteur en avait fait imprimer, à titre d'essai, 152 pages in-8a, très serrées, s’arrêtant au mot Arina. Après sa mort, les PP. Abinal et Malzac utilisèrent, dans leur dictionnaire malgache-français si estimé de tous, les matériaux qu’il avait amassés, mais il ne parut pas possible de continuer l’œuvre sur le trop vaste plan qu’il avait conçu lui-même. Recueillons du moins avec respect ces premières assises d’un édifice qui promettait d'être si beau. C’est peu assurément, puisqu’elles ne franchissent même pas la première lettre de l'alphabet ; mais déjà— on le verra — que de richesses ! Quelle science profonde de la langue et surtout quelle saveur à peu près perdue aujourd’hui, dans ce malgâche original, vierge de toute influence étrangère et cueilli apparemment sur les lèvres de ces vieux et intéressants rangahy, dont le P. Callet avait fait ses meilleurs amis.
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