Ce beau livre au format carré et à l' alternance de photos et de texte se présente comme le carnet de voyage des deux auteurs qui ont marché jusqu' à la région forestière reculée abritant à Madagascar le peuple Zafimaniry.
Le texte rédigé par Johary Ravaloson, malgache mais originaire de la région lointaine des hauts-plateaux et donc étranger à ces " populations des coins reculés " (12), est rédigé à la première personne et ne cache rien des motifs personnels du voyage : " pour moi, pourtant, aller chez eux c' est toujours aller hors du monde " (7).
Passant assez rapidement sur les anecdotes de cette aventure au travers des collines noyées dans la brume, le texte suit l' itinéraire d' une marche qui se transforme en quête d' un " monde primitif originel " (12) puisque ce peuple vit dans les conditions que connaissait le peuple merina (du centre) avant le 18è siècle, date à laquelle il s' est séparé de lui et retiré dans les forêts.
L' auteur ne semble plus alors aller vers des interlocuteurs réels mais, au fil de 10 années d' observations, avoue qu' il est allé chercher " les morceaux du passé " (34).
Mais, de portrait en rencontre, d' enquête en diagnostic, le " rêve " (38) et l' " illusion " (34) se dissipent pour laisser apparaître une réalité qu' il semble regretter, les Zafimaniry aspirent à être reliés au monde, à entrer dans une modernité qui, si elle entraîne la perte de certaines traditions, apportera aussi une moindre dépendance vis-à-vis d' une forêt qui peut de moins en moins les nourrir.
La conclusion de cette aventure personnelle est à la fois naïve et honnête : " je suis allé chercher des mythes et j' ai trouvé des hommes " (34).
Les photos appuient la démarche en présentant en noir et blanc les collines au granit affleurant, les maisons en bois et bambou ornées de motifs sculptés qui font toujours la célébrité de la région et surtout une galerie de portraits de ces hommes et femmes inscrits malgré les réflexions du narrateur dans le présent.
Leurs postures raides et l' absence de tout signe de modernité, qui rappellent d' ailleurs les fonds iconographiques d' explorateurs ou d' ethnologues des temps anciens, relient symboliquement ce " musée vivant " (16) où la passé est devenu " inintelligible " (34) à un présent où " le temps des verbes tremblote à l' orée de la citadelle " (16).
Bien plus qu' un carnet de voyage, ce récit, répété puisque la version en malgache figure dans la seconde partie de l' ouvrage, témoigne de la difficulté à s' extraire de soi-même pour vivre une rencontre qui ne fige pas l' Autre dans ce que l' on projette sur lui mais le laisse exister.
Juliette Ratsimandrava, auteur de la préface, y voit un des symptômes de la marche parfois longue de ceux qui ont vécu loin de leur pays d' origine (c' est la cas de l' auteur) vers un ré-ancrage dans ses réalités.
Ce livre prouve aussi au lecteur charmé par la sincérité et la candeur du ton l' intérêt de traduire en mots et en images cette persévérante quête de soi.
Du sein de leur forêt lointaine, les Zafimaniry, merveilleux sculpteurs, trafiquants de rhum, éternels demandeurs de riz bientôt reliés par internet, auront fait découvrir à tous que " comme la vérité, un arbre droit ne se trouve qu' au milieu de la forêt " (34).
Il faut souhaiter à ce beau livre, publié à La Réunion mais accessible par le site de son éditeur, de séduire tous ceux qui marchent vers celle-ci.
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