Le sous-titre de cet ouvrage à la couverture jaunie comme un vieux document illustrée d' une photo ancienne et d' un timbre de Madagascar visiblement colonial, indique " Chroniques d' un retour à Madagascar ".
La romancière malgache qui vit depuis plus de 20 ans en France en y affichant une identité malgache solide, offre un texte qui tient à la fois du journal de voyage et des carnets intimes.
A la différence de Césaire qui se réinstalla définitivement au " pays natal " après l' avoir évoqué avec fougue dans son Cahier d' un retour au pays natal, elle rapporte les étapes de sa redécouverte d' un monde un peu mythifié par l' exil douloureux et l' enfance heureuse au cours d' un séjour de quelques semaines.
Le récit détaillé de ce retour provisoire permet surtout un retour sur elle-même par une analyse à tout instant de ses propres réactions étonnées ou scandalisées face aux situations et aux individus rencontrés dans un pays qui était figé dans ses souvenirs.
Elle arpente les rues d' Antananarivo, parle avec les uns et les autres, retourne à Ambatomanga le village des grands-parents, explorant le va-et-vient entre le présent, son enfance et le moment où elle a fui cette société, afin, répète-t-elle, de " comprendre, connaître, renaître peut-être, écrire, témoigner, trouver les mots justes " (141), de " recoller les morceaux et aller au-delà de la rupture " (62).
L' écriture tente de suivre au plus près les hésitations de cette quête qui passe par l' aveu des effets d' étrangeté nés de l' absence et du doute sur l' identité : " vingt ans à l' extérieur me permettent-ils de dire que je suis d' ici ? " (145).
Et pourtant, d' étonnement en révolte devant les clivages de cette société et ses immobilismes entretenus, de réminiscence de poème en surgissement de chanson, la narratrice se découvre de plus en plus extérieure aux mentalités qui prévalent, aux systèmes implicitement admis, aux silences entretenus.
Elle s' avoue " intellectuelle francophone " (24), à la fois chez elle et " de passage " (33), " errante " (29) et voulant recréer ses racines par le biais du contact avec les lieux et les objets comme les documents familiaux : " il faut toujours un nom de lieu ou d' origine pour exister " (166).
Cet " entre-deux " maintes fois invoqué qui est celui du " décalage " (41), de la " distance " (40) générant la solitude et l' incompréhension, détruisant tout discours sur l' identité, s' installe à l' intérieur du texte avec le choix de portraits caricaturaux, la reprise des thèmes de la mort, de la terre stérile, du fanatisme des chrétiens, des tabous pesant sur l' histoire.
Le texte installe un réseau de clichés sur les enfants des rues, les enseignants héros, les églises, sur les articulations sociales ou sur l' histoire et développe des images qui nourrissaient déjà les fictions antérieures de la romancière.
Cette chronique personnelle, dont les brefs chapitres sont illustrés de photos anciennes et de timbres à la manière d' un album de voyage, a le grand mérite de mettre en évidence la difficulté à assumer les conséquences de l' exil, surtout chez les écrivains qui se revendiquent de loin les membres d' une communauté qu' ils ont quittée et qu' ils comprennent de moins en moins.
L' écriture à la première personne et le ton intimiste placent au coeur de l' ouvrage la situation personnelle de la narratrice et à distance un pays et des gens entrevus rapidement (le titre installe la courte durée, un mois) au travers des bribes saisies et interprétées en fonction de la trajectoire et des réflexions menées.
Ce livre nostalgique, qui fait entrer dans l' expérience individuelle quelque peu amère du doute, offre la démonstration à la fois de l' effet silencieux de la distance et de la force de l' écriture.
Il permettra de relire utilement à sa lumière les romans de Michèle Rakotoson.
|