Le nouveau roman du malgache Raharimanana se présente comme le récit par lui-même de l' errance d' un père dont l' enfant a été retrouvé mort dans les eaux sales d' Andavamamba, quartier populaire d' un Antananarivo non nommé.
Ce curieux locuteur éponyme, qui se dédouble, dont la culpabilité se fixe sur le fait qu' il n' a pu offrir de linceul à son fils, entend un ange noir le menacer et sa femme chanter sa douleur, erre dans la ville, se fait emprisonner puis délivrer.
Caché dans un linceul et ainsi pris pour un ancêtre, le cortège qui l' accompagne est poursuivi par les soldats d' un pouvoir sanguinaire, ballotté dans les rizières, près des tombeaux, sur les décharges.
Za rend compte de l' horreur d' une société dont tous les espoirs " se cognent à l' horizon " (234) et ne peut se réfugier que dans le rire, le hurlement et la haine : " rien ne pousse ici, ni nos espérances, ni nos cynismes ni nos dérisions.
" (162).
Seulement, il le dit maintes fois avec l' accent qui caractérise tout son discours, Za est fou : " Za sait bien que Za suis fou maintenant " (138, 226).
Le romancier utilise à la fois la transcription de ce qui pourrait être un accent malgache et le flottement entre réel et onirique de la maladie pour jouer avec les mots au long d' un véritable jeu de massacre envers la société malgache contemporaine.
La vie politique, avec à sa tête le " Dollaromane " (84) régnant sur des " docteurs en politozie qui ont prêté leurs serments d' Hippocrasie " (225) déclenche une rafale de néologismes qui pourraient devenir drôles si le personnage ne restait dans le registre de la violence : " rire et maudire ce pays, mon pays " (70) et du découragement : " quel poids a l' être seul dans ce pays ? " (267).
Même attitude envers les héros du passé (Galliéni, ceux qui l' ont combattu, Ratsimandrava), les " hexagonistes métropolitains " (103), naïfs représentants du " fleuve noir d' Oksident " (116), le peuple violent des " endoctrinés qui croient n' importe quoi " (117), les disciples de Mao " ravoltionnaires qui voient des lignes droites partout " (253).
Le texte imite aussi en les tournant en dérision, les valeurs sociales, esthétiques et religieuses qui sont au coeur de la société malgache.
Le sommet de l' éloquence que représente le kabary donne sa structure au premier chapitre du fou, les adresses aux ancêtres lors de la veillée funèbre et de l' exhumation ne sont plus que ridicules " ancêtreries de harangues kabaristiques truffées d' adazes et de proverbes à cinq balles de coton " (207).
Enfin, les ancêtres respectés deviennent des " imbéciles " et des " zénies des caveaux bazzoïdes " (239) dont les " voix de caillot et de quolibet qui frappent d' écervelance aigüe " arrivent " d' outre-ciel " (206).
Za, qui dérive dans tous les sens du terme, n' a en fait pas de nom puisque celui qu' il affiche est le reste du pronom personnel " izaho ", " moi ".
Prisonnier des fers qu' on lui a passé en prison, du linceul qui l' a fait passer pour mort, de sa culpabilité et de son cynisme, empêtré dans ses hallucinations et sa logorrhée, il ne peut à aucun moment dire " je " pour assumer une parole libre.
Ecrasé, sa seule voie, est dans cette créativité sans fin ni sens : " venin de haine inoculé, les mots ne sont plus que d' oubli et de violence [...] ne délivrent plus que pour voiler le sens " (289).
Raharimanana, qui ne cache pas ses sources puisqu' il les cite en épigraphe, adapte ici les trouvailles du Haïtien Frankétienne et du Congolais Sony Labou Tansi.
Après eux et comme eux, la puissance du néologisme, le jeu entre les phrases nominales et les longues énumérations en apnée, les allusions à peine voilées aux lieux et aux personnes sont au service d' une vision totalement désespérée non seulement de la société malgache (la femme " hait ce pays qui danse pour des morts qui n' en valent pas la peine " 275) mais du monde qui " n' a jamais été qu' une suite de malheurs " (252).
Les thèmes obsessionnels de l' horizon, des rails, du chant lugubre de la femme, du cadavre et des déjections ne sont que des déclinaisons d' une morbidité associée à une violence sans limites déjà déclinés dans les ouvrages précédents et qu' ici ni la fantaisie langagière ni les éclats de poésie ne viennent adoucir.
Le rire fou et cynique semble la provisoire, dérisoire et unique issue à cette déambulation langagière et géographique: " Za n' a qu' à rire de la connerie de l' humain " (84).
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